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© F. Pouzet, T. Nogaro, G. Feuillet





Les populations humaines exercent une pression grandissante sur les écosystèmes, et la gestion des ressources naturelles est une nécessité. En Guyane, l'état de conservation de la forêt est encore relativement satisfaisant mais la pression démographique augmente. L'exploitation forestière et surtout la chasse, encore très insuffisamment gérée, représentent des menaces importantes sur la faune.


Objectifs

L'aménagement de la forêt de Counami s'orientait en 1998 pour la première fois en Guyane vers cette gestion durable: exploitation forestière à faible impact, prise en compte de la richesse biologique et de l'utilisation traditionnelle du milieu par les populations locales. La finalité était de pouvoir remettre en exploitation, avec une rotation de quelques décennies, les forêts ainsi gérées, tout en permettant le maintien de l'utilisation traditionnelle des ressources naturelles. L'association Kwata avait en charge le suivi de la faune, afin d'observer les impacts de la chasse et de l'exploitation forestière sur les communautés animales. En parallèle, l'activité de chasse a été étudiée.


Méthode

Avec 5 années d'inventaires, sur différentes zones de cette forêt (chassées ou non, exploitées ou non), le suivi de la communauté de primates a été utilisé comme principal indicateur. Chaque inventaire, sur chaque zone et à chaque période, consiste à parcourir et à répéter quotidiennement un tracé sur un layon préétabli, jusqu’à un total d’une centaine de kilomètres afin d''obtenir des indices kilométriques d'abondance.
Les pratiques de chasse ont été détaillées, à partir de 8 mois d'enquête auprès de 28 chasseurs (hmongs, créoles, amérindiens, noirs-marrons, métropolitains).


Résultats

1998-1999: avant la mise en exploitation
La pression était limitée à la chasse, encore peu importante à cette période. Au total 16 à 18 espèces de mammifères ont été observés dont 6 primates: singe hurleur, atèle, les deux capucins, saki et tamarin. Les plus grandes espèces, qui sont les plus sensibles à la chasse, étaient déjà moins abondantes dans les 2 zones situées à proximité de la piste.

2000 à 2003 : pendant et après l'exploitation
Sur ces deux zones à la fois de plus en plus en chassées et mises tour à tour en exploitation, la diversité a diminué : le nombre d'espèces de singes est passé en 3 ans de 6 à 2.
Les atèles, particulièrement sensibles aux perturbations, ont rapidement disparu des zones de bord de piste.
Les singes hurleurs et les capucins, moins sensibles, ont vu leurs abondances baisser sur deux zones les plus chassées et réaugmenté par la suite, après l'exploitation et la baisse de la pression de chasse. Mais, la diminution de la taille des groupes a eu des conséquences sur le succès de la recherche alimentaire, déjà rendue plus difficile du fait de l'exploitation forestière, sur le succès reproducteur et sur l'accroissement de la mortalité des jeunes.
En fin d’étude, la diversité et les abondances ont également diminué sur la zone centrale épargnée par la chasse et l’exploitation forestière.


Pratiques de chasse

Pour l’essentiel la chasse répondait à un besoin de subsistance. La comparaison entre la taille de la zone de chasse, la quantité d’espèces prélevée, et les densités d’espèces montrait que la pression de chasse était trop importante, à priori non durable, risquant donc d'affecter définitivement les populations d’espèces gibiers.


Conclusions

Les impacts de la chasse sont prédominants sur les impacts liés à l'exploitation forestière proprement dite. La chasse se trouve systématiquement favorisée par les aménagements forestiers : les axes ouverts pour l'exploitation sont autant d'accès faciles. De plus, les zones intactes, ni chassées ni exploitées, sont souvent de taille peu importante : aucune zone de taille suffisante ne peut alors jouer le rôle de "refuge" pour la grande faune, comme l’a montré le déclin également observé sur la zone centrale. Enfin, les connections écologiques (maintien de zones larges et intactes) avec les forêts du sud n'ont pas été envisagées dans les aménagements. La conjonction de tous ces paramètres ne peut qu'induire une diminution des populations.


Recommandations

Les recommandations pour une meilleure prise en compte de la faune dans les forêts exploitées seraient de plusieurs ordres. La prise en compte et la gestion de la chasse est nécessaire. La situation des forêts dans le nord de la Guyane, la pression démographique, la multiplicité des accès, la diversité ethnique des chasseurs et de leurs motivations (chasse de subsistance, chasse d'appoint, chasse commerciale), font qu'une gestion fondée uniquement sur une réglementation de l'activité de chasse est insuffisante. La gestion des habitats s'impose : réduction de la surface rendue accessible par la mise en exploitation de la forêt, tracé plus rationnel des pistes et leur fermeture après exploitation, meilleur agencement des zones "intactes", avec notamment le maintien de corridors et de surfaces "refuges" pour la faune.
Dans le cas des primates, très sensibles à la chasse, un changement du statut légal s'impose, avec la nécessité de protection intégrale de toutes les espèces, seuls l'atèle et les deux sakis bénéficiant à l'heure actuelle de ce statut. La Guyane est ainsi le seul pays sud-américain pour lequel la chasse reste autorisé pour certaines espèces. La chasse, même si elle est pratiquée uniquement pour des besoins de subsistance, est incompatible avec la survie des grandes espèces de singes.


Accéder aux fiches "Réglementation chasse en Guyane"